Article Entrevue avec Voices

Tirer parti des investissements en infrastructures pour atteindre nos objectifs en matière de carboneutralité

Investissement durable Montréal,
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Emmanuel Jaclot, premier vice-président et chef des Infrastructures à la CDPQ, explique à la revue Voices de la Global Infrastructure Initiative de McKinsey comment les investisseurs peuvent concevoir des solutions d’infrastructures durables pour faire face aux risques liés aux changements climatiques.

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En novembre 2021, 120 dirigeants mondiaux représentant 197 États se sont rendus à Glasgow pour la 26e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26). Ils y ont discuté de la prochaine décennie d’action climatique et du soutien nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C. Pour les secteurs où la réduction des émissions est une tâche ardue, comme celui de la construction, il ne sera pas facile de parvenir à la carboneutralité. Des changements stratégiques sont nécessaires pour établir l’ordre de priorité des projets et déployer les capitaux. L’élaboration de politiques et d’incitatifs liés aux nouvelles technologies et aux innovations s’avérera importante.

Pour en savoir plus sur le rôle que jouent les investisseurs dans ces développements, Tony Hansen de McKinsey s’est entretenu avec Emmanuel Jaclot, premier vice-président et chef des Infrastructures à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

McKinsey :Quels sont les plus grands défis ou obstacles à l’atteinte de nos aspirations en matière de carboneutralité? 

Emmanuel Jaclot :La carboneutralité doit être plus qu’un objectif abstrait. Elle doit se traduire par des mesures réelles et concrètes, et ce, rapidement. Prenons l’exemple de l’énergie. Selon un rapport publié en mai par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), nous n’atteindrons pas la carboneutralité d’ici 2050, à moins de tripler nos investissements annuels dans l’énergie propre à l’échelle mondiale au cours des prochaines années. 

En tant qu’investisseur de long terme, l’un de nos défis consiste à tenir nos promesses et à déployer des capitaux dans la chaîne de valeur le plus rapidement et le plus tôt possible. Il est important de comprendre que les énergies renouvelables – solaire et éolienne – à elles seules ne permettront pas d’atteindre la carboneutralité. Les investissements dans les nouvelles technologies et les innovations, comme les batteries, l’hydrogène vert et la séquestration du carbone, seront essentiels. De plus, les politiques et les mesures incitatives visant à développer ces secteurs pourraient grandement contribuer à accélérer leur mise en œuvre. 

Par ailleurs, nous devons travailler sur la transition de l’économie dans son ensemble, non seulement en augmentant le nombre d’actifs verts, mais aussi en réduisant l’empreinte carbone des secteurs à fortes émissions. Nous devons tenir compte des répercussions actuelles et potentielles de la crise climatique sur les populations. Il faut que ce soit une transition juste. 

McKinsey : Quels changements stratégiques devront être apportés par les investisseurs et le l’industrie des infrastructures pour atteindre les cibles netzéro? 

Emmanuel Jaclot :Le sentiment d’urgence était évident lors de la COP26 : nous n’avons d’autre choix que de réduire les émissions de moitié d’ici 2030 pour que le monde atteigne la carboneutralité et limite l’augmentation de la température à 1,5°C. Par conséquent, les investisseurs doivent avoir la capacité de mesurer précisément où ils en sont. Cela leur permettra d’établir des cibles ambitieuses à court et à moyen terme et d’être tenus responsables de leur évolution. 

Nous visons à détenir 54 G$ en actifs verts d’ici 2025 et à atteindre une réduction de 60 % de l’intensité carbone du portefeuille total d’ici 2030, comparativement à nos premières mesures en 2017. 

Dans cette optique, la CDPQ a lancé sa nouvelle stratégie sur les changements climatiques en septembre 2021, quatre ans après être devenu l’un des premiers investisseurs institutionnels à se fixer des cibles pour réduire l’empreinte carbone de chacun de ses portefeuilles. Cette année, nous avons décidé d’être encore plus ambitieux. 

Chaque décision d’investissement que nous prenons tient compte du climat, et nous utilisons les budgets climatiques pour suivre les émissions de carbone de nos portefeuilles. Nous avons également été le premier grand investisseur institutionnel à lier la rémunération des employés aux cibles climatiques. Nos sociétés en portefeuille sont pleinement conscientes que les facteurs ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance] et la lutte contre les changements climatiques sont deux de nos priorités centrales. 

Cela dit, investir dans des actifs sobres en carbone ne suffira pas. En tant que joueurs importants dans les investissements en infrastructures, nous ne pouvons pas éviter les secteurs à fortes émissions. Cela comprend les matières premières, comme l’acier, le béton, le cuivre, le lithium et les plastiques structurels, ainsi que le transport et l’agriculture. Notre nouvelle stratégie sur le climat comprend une enveloppe de transition de 10 G$ pour la décarbonisation proactive de ces secteurs. 

McKinsey :Comment les investisseurs établiront-ils la priorité des projets au sein des portefeuilles et déploieront-ils des capitaux au rythme requis? 

Emmanuel Jaclot :Comme les besoins en capitaux augmentent de façon exponentielle et que la concurrence et la valeur des transactions augmentent, les investisseurs doivent envisager de nouvelles approches. L’une des stratégies que nous avons trouvées efficaces consiste à former des partenariats de long terme avec des joueurs reconnus et partageant notre vision. Par exemple, l’an dernier, nous nous sommes joints à Ørsted et à Cathay PE dans le cadre d’un investissement important dans le parc éolien en mer Grand Changhua 1 à Taïwan. 

Nous examinons également de nouveaux secteurs, comme la gestion durable des terres et l’hydrogène vert, et envisageons de nouvelles approches.

Par exemple, nous avons créé une plateforme de 500 millions de dollars pour l’innovation en investissement durable, ce qui nous a permis de créer de nouveaux partenariats et d’élargir notre expertise dans des domaines émergents. Elle a également créé des occasions d’affaires dans des secteurs clés de l’économie durable. 

McKinsey : Quel rôle la technologie peut-elle jouer pour accroître la durabilité des projets et sur notre façon de mesurer le rendement? 

Emmanuel Jaclot : Tout d’abord, permettez-moi de dire que nous ne pouvons pas miser uniquement sur les innovations perturbatrices pour faire face à la crise climatique. Au-delà des énergies renouvelables, du stockage et de l’efficacité énergétique, de nouvelles technologies variées seront nécessaires pour atteindre la carboneutralité. Des secteurs clés comme ceux des biocarburants, des batteries, de la capture de carbone et de l’hydrogène ont le potentiel de modifier considérablement les émissions de carbone. 

L’innovation dans le secteur de la construction jouera également un rôle essentiel dans l’affectation de capitaux supplémentaires à la transition énergétique. Par exemple, les solutions modulaires conçues hors site ou de modélisation de l’information des immeubles (BIM) en 6-D sont des techniques qui peuvent accroître considérablement la durabilité des projets. En même temps, elles peuvent réduire les coûts liés au cycle de vie et les risques associés aux nouveaux projets pour les investisseurs comme nous. 

Nous voulons soutenir le développement de solutions novatrices pour accélérer la transition énergétique. Dans cette optique, la CDPQ a investi dans des sociétés comme Energize Ventures, un important gestionnaire mondial de placements alternatifs qui finance des solutions axées sur le numérique. 

McKinsey :Quelles nouvelles approches de financement seront nécessaires pour concevoir des projets? 

Emmanuel Jaclot : À eux seuls, les gouvernements ne seront pas en mesure d’offrir des infrastructures durables au rythme et à l’échelle nécessaires pour faire face aux risques croissants liés aux changements climatiques. Les investisseurs institutionnels à long terme représentent l’un des plus importants bassins de capitaux disponibles et peuvent jouer un rôle important dans le financement des infrastructures essentielles à une économie plus durable et sobre en carbone. 

Les secteurs public et privé peuvent aussi travailler ensemble pour amoindrir le risque des investissements tout en visant des objectifs de carboneutralité. Outre les partenariats publics-privés classiques, le Réseau express métropolitain (REM), le plus important projet de transport en commun au Québec des 50 dernières années, dont la mise en service à Montréal est prévue pour plus tard cette année, en est un bon exemple. Le REM a été entièrement conçu par CDPQ Infra, l’une de nos filiales. Nous agissons à titre de maître d’œuvre, en assumant les phases de planification, de financement, d’exécution et d’exploitation. Et notre présence à chaque étape du projet assure l’efficacité et la qualité du travail ainsi que son intégration dans les communautés. 

McKinsey :Comment les investisseurs géreront-ils le risque inévitable associé aux projets carboneutres? 

Emmanuel Jaclot :Les changements climatiques peuvent perturber les sociétés, les secteurs et les collectivités. À long terme, ils auront des conséquences sur la valeur de chaque actif d’infrastructure. Nous devons donc être en mesure d’évaluer la façon de bâtir un avenir durable et résilient. 

À la CDPQ, l’évaluation et la gestion des risques et opportunités climatiques sont pleinement intégrées dans nos processus.

Nous assurons une surveillance rigoureuse des risques climatiques – tant les risques physiques que les risques liés à la transition – qui font l’objet de sections précises dans les documents d’approbation et de responsabilité en matière de placements. Nous soumettons ces risques aux mêmes processus de gouvernance que les autres types de risques. Les divulgations sont également essentielles; nous suivons les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), une norme mondiale pour les investisseurs. 

Enfin, notre gestion du risque tient compte des objectifs de 1,5°C de l’Accord de Paris ainsi que d’une série de scénarios provenant de sources reconnues, comme l’AIE. Nous travaillons également avec nos pairs, en restant à l’affût des développements méthodologiques pour l’évaluation du risque et en élaborant des outils complets pour les investisseurs et les sociétés. 

McKinsey : Comment pouvons-nous faire des progrès si les politiques publiques et la réglementation connexe sont à la traîne? 

Emmanuel Jaclot :Les investisseurs peuvent contribuer à faire progresser la société en dirigeant les capitaux vers les secteurs qui ont d’énormes besoins en infrastructures, comme la mobilité durable. Nous savons que nous pouvons accroître notre contribution en collaborant avec des groupes partageant notre vision. C’est la raison pour laquelle nous sommes cofondateurs de deux groupes d’investisseurs mondiaux de premier plan, le Réseau de leadership d’investisseurs et l’Alliance net-zéro, qui travaillent tous les deux à résoudre les problèmes liés aux changements climatiques et à influencer l’élaboration de politiques et de règlements visant une économie carboneutre. 

Ici, au Canada, la CDPQ a également été impliquée dans deux organismes consultatifs d’experts des gouvernements fédéral et québécois. Nous travaillons avec des acteurs de différents secteurs et organisations pour nous assurer que tous les points de vue sont pris en compte dans le processus décisionnel. Les changements climatiques nous toucheront tous, et nous sommes tous responsables d’agir. 


À PROPOS DE l'AUTEUR

Tony Hansen, basé au bureau de Seattle de McKinsey, est directeur général de la Global Infrastructure Initiative (GII). 

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