À contre-courant
La Caisse | Quel a été le déclencheur qui allait tranquillement éloigner la Caisse de la gestion indicielle pour favoriser la gestion en absolu?
Jean-Luc Gravel | À mon arrivée à la Caisse en 2004, les discussions dans le marché tournaient beaucoup autour des indices. Tout le monde voulait battre les indices. L’approche des investisseurs était basée sur le court terme. C’était le contexte du marché à l’époque.
À la Caisse, il y avait une volonté de faire les choses différemment. Pour ce faire, je me suis inspiré des meilleurs, de ce qui se faisait de mieux. D’ailleurs, une de mes sources d’inspiration a été une publication dans un magazine spécialisé qui présentait les « légendes de l’investissement » : les Warren Buffet, John Templeton, John Bogle. L’élément qui m’avait frappé dans cet article, c’est la nécessité de s’éloigner des indices qui conditionnent les investisseurs à penser à court terme.
Pour obtenir des rendements plus stables à long terme, il fallait cesser de bâtir nos portefeuilles à partir des indices, mais plutôt à partir d’une page blanche. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? C’est d’identifier des sociétés avec des modèles d’affaires plus stables et plus résilients dans lesquels nous voulons réellement investir, être proactif dans la recherche de titres qui obtiennent de bons rendements par rapport au capital qu’on y investit et qui sont dans des secteurs plus stables sur un horizon long terme. Des secteurs moins sensibles aux fluctuations économiques comme la santé, les biens de consommation ou encore les services publics. Ça peut sembler simple comme raisonnement, mais faire un tel changement nécessitait à l’interne un réel changement de culture. C’est le défi que nous nous sommes donnés à ce moment en sachant très bien que la route pour implanter cette nouvelle culture d’investissement allait être longue.
La Caisse | En 2011, le contexte économique européen a contribué à accélérer le passage d’une gestion indicielle à une gestion en absolu. Comment est née l’idée de créer le portefeuille Actions Qualité mondiale?
Jean-Luc Gravel | J’ai pris la tête des marchés boursiers à la Caisse au printemps 2009. À ce moment, nous cherchions des opportunités de déployer du capital. Il y avait eu une baisse relativement importante du marché. Nous voulions bouger, mais de manière ordonnée, disciplinée. Répliquer un indice aurait impliqué, entre autres, l’achat de titres de banques européennes pour lesquelles nous n’avions des perspectives favorables à ce moment-là. C’est alors, dans les discussions stratégiques que nous avions, qu’une idée intéressante a émergé : acheter des titres d’entreprises européennes de grande qualité comme Unilever ou Nestlé par exemple. Des géants européens qui ne sont pas seulement exposés au marché européen, mais à de nombreux marchés dans le monde. Des entreprises qui ont des caractéristiques communes : bonne qualité, bonne rentabilité, excellente stabilité, mais surtout des entreprises disponibles à un prix raisonnable à l’époque. C’est de cette manière qu’est né le portefeuille Actions Qualité mondiale. Nous prévoyions y affecter quatre ou cinq milliards pour démarrer et, au fil du temps, avec le raffinement de l’expertise et des capacités de recherche de nos équipes, y injecter de nouvelles sommes.
Nous avons alors débuté à exploiter au maximum notre « page blanche » pour construire un portefeuille à partir de nos critères et de nos analyses pour atteindre nos objectifs. Pour être efficace, nous avons délimité notre terrain de jeu, construit un filtre quantitatif pour limiter le nombre d’entreprises à évaluer par nos équipes et fait une première sélection de titres pour le portefeuille. Ensuite, nos équipes ont réalisé des analyses fondamentales sur ce nombre limité de sociétés. Nous avons aussi créé un comité d’investissement avec la responsabilité d’approuver chacun des titres à intégrer dans le portefeuille. C’est donc une cinquantaine de titres qui ont été approuvés par le Comité d’investissement. En limitant le nombre de sociétés, nous nous donnions le temps pour nous faire la main avec cette nouvelle façon de faire.
La Caisse | Miser sur la qualité des titres est une approche qui cadre bien avec le profil d’investisseur de la Caisse. Toutefois, cette posture limite de beaucoup la capacité de profiter des conditions d’un marché haussier ou encore de titres plus volatils. N’est-ce pas un désavantage pour la Caisse?
Jean-Luc Gravel | Le marché a souvent une forte tendance à surpayer pour des entreprises qui croissent rapidement. La raison est simple : tout le monde veut faire du rendement rapidement. Mais quand on regarde les entreprises de qualité par rapport à ces titres « sexy », c’est un peu ennuyant du 10 ou 12 % de rendement annualisé sur cinq ans. Là où certains voient des titres ennuyeux et peu attrayants, nous voyons plutôt de bonnes occasions d’investissement. Comme investisseur axé sur le long terme, les sociétés du mandat Qualité mondiale nous donnent la durabilité et la stabilité que nous recherchons. Et, ultimement, l’objectif est d’aller chercher des rendements ajustés pour le risque supérieur à ce que produisent les indices boursiers sur le long terme.
La Caisse | Est-ce que ce changement de paradigme a été difficile à implanter au sein des équipes?
Jean-Luc Gravel | Le changement de culture qui s’est opéré dans nos équipes ne s’est évidemment pas fait en claquant des doigts... Il a fallu se doter d’une stratégie, mais aussi d’outils pouvant contribuer à développer la gestion en absolu et notre perspective à long terme. Par exemple, au niveau de l’analyse, nos équipes établissent maintenant le potentiel des sociétés sur une base de rendements anticipés pour une période de sept ans. Ainsi, l’important n’est pas l’appréciation du titre sur un ou deux ans. Il s’agit plutôt de déterminer si sur un cycle complet d’investissement, nous allons obtenir un rendement attrayant qui permet de justifier notre investissement. Pour ce faire, nous évaluons plusieurs éléments : la croissance, le potentiel croissance du dividende, le potentiel de rachat d’actions, l’évolution du multiple. Pour les investisseurs qui recherchent un rendement à court terme, l’évolution du multiple représente le cœur de leur analyse. Pas pour nous. Nous nous préoccupons des données fondamentales.
La Caisse | Quel est l’ingrédient qui explique les bons résultats obtenus depuis 2013 dans ce portefeuille?
Jean-Luc Gravel | Il y a plusieurs ingrédients dans la recette. Mais il y a un ingrédient essentiel : la discipline. Ce portefeuille est un succès jusqu’à maintenant parce que nous avons fait preuve de discipline en mettant en place des processus extrêmement rigoureux dans nos équipes. De plus, nous avons convaincu nos gens - les analystes, les équipes de recherche, les gestionnaires de portefeuille - des avantages compétitifs de ce changement de culture pour la Caisse dans son ensemble. Nous avons aussi bien expliqué notre plan de match à nos déposants. Bien sûr, sans l’appui du comité de direction de la Caisse et du conseil d’administration, nous n’aurions pu même entamer cette transformation. C’est donc le fruit d’un travail et d’un soutien à plusieurs niveaux.
Mandat Qualité mondiale en bref
- Titres de sociétés bien établies, exposées à la croissance mondiale, négociés sur les places boursières des pays inclus dans l’indice MSCI ACWI (États-Unis, Canada, Europe, Australasie, Extrême-Orient et marchés en émergence)
- Entreprises avec une rentabilité élevée et stable démontrant des fondamentaux solides dans la durée et utilisant le levier financier de façon prudente
Avantages
- Rendement ajusté pour le risque supérieur à celui des marchés boursiers sur un horizon long terme
- Diversification géographique
- Protection contre l’inflation à long terme
- Sensibilité moins grande des investissements aux fluctuations de marché et plus grande liquidité en période de turbulence